Beabilis a choisi de consacrer cinq billets aux GAFAM (Google, Amazon, Apple, Facebook) et à ses éventuels successeurs. Ces billets sont tirés du livre de Scott Galloway, The Four, le règne des quatre.
Après avoir analysé les réussites d’Amazon, Apple et Facebook, Galloway s’interroge sur le 5ème cavalier. Qui pour mettre en cause la suprématie des quatre ? Il cite Alibaba, Tesla, Wallmart, Microsoft , AirBnB, IBM, Verizon…
Beabilis a une autre hypothèse. Nous pensons que le nouveau Google est déjà né. Il est chinois, s’appelle Baidu, a des ressemblances frappantes avec le « vieil » américain qu’est devenu Google. Après avoir conquis l’Empire du Milieu, il est fort possible que Baidu devienne la référence de l’Internet de demain.
Qui-est Baidu ?
L’origine du nom est empreinte de romantisme et de poésie. Selon Haifen Wang, Vice-Président de Baidu, la dénomination de l’entreprise est inspirée d’un poème écrit il y a plus de 800 ans sous la dynastie Song en Chine. Le poème décrit une quête, la recherche d’une beauté cachée au milieu d’une multitude. Celui qui cherche le fait avec acharnement face aux nombreux obstacles de la vie. “…Des centaines et des milliers de fois, pour elle j’ai cherché dans le chaos / Soudain, je me suis tourné par hasard, vers l’endroit où les lumières s’éteignaient, et elle était là.” Baidu, dont le sens littéral veut dire “des centaines de fois“, représente une recherche constante de l’idéal.
Baidu des centaines de fois…
De quel idéal s’agit-il ? De la recherche parfaite sur Internet et d’une volonté de puissance à peine dissimulée sous un nom énigmatique.
Beabilis a envie de vous proposer une autre explication et de vous raconter une histoire moins ancienne. Un certain Kia-Tan, géographe vivant sous le règne du dernier Empereur a dessiné une carte comprenant la Chine et les pays sous influence. Sa carte mesurait 330 pouces de long et 300 pouces de large ou 130 degrés sur 120. Le monde chinois y était représenté avec toutes ses richesses. La façon de procéder pour cartographier des étendues si vastes consistait à travailler à partir de carrés de 100, 200 ou 500 li sachant que cent li correspondent à un pouce.
Tout partirait donc de la même idée que Google, à savoir cartographier le monde en plaçant le chiffre 100 comme origine, base, début de son extension.
Cartographier le monde…
Baidu est, comme Google, avant tout un moteur de recherche qui scanne inlassablement le monde du Web et à travers lui le monde réel.
Le deuxième élément intriguant de Baidu est son logo, une empreinte de patte de chien. En Chine, le chien est réputé comme l’animal qui sait chercher mieux que tout autre. En allant plus loin dans la symbolique, le chien est le compagnon de l’homme dans ses chasses. Baidu est le compagnon de l’internaute sur le web.
Le dernier élément est l’usage des couleurs très marqué, le bleu et le rouge. En Chine, le rouge est la couleur du bonheur et de la chance. Porter du rouge protège de la mort. Le rouge est aussi la partie féminine dans le concept du Yin et du Yang. La signification du bleu est plus incertaine. Le bleu est une couleur neutre identifiée comme masculine et associée à la pureté. Elle n’est pas très présente dans l’imaginaire chinois car elle est très souvent teintée de vert qui rappelle la couleur des tuiles du temple du Ciel.

Pékin 2000, si typique et si calme
Enfin, mieux comprendre Baidu passe par une analyse de la vie et personnalité de ses fondateurs.
Robin Li est originaire d’une famille pauvre du Nord-Est de la Chine. Il a fait ses armes dans la Silicon Valley et est revenu dans les années 2000 pour créer un Google à la chinoise. Il aurait eu le premier l’idée des liens sponsorisés. Il est charismatique et très politiquement correct. Nous laissons le lecteur réfléchir à ce parcours surprenant : un pauvre chinois propulsé dans la Silicon Valley…
Robin Li
Eric Xu Yong est un scientifique couvert de diplômes. Très engagé dans des œuvres philanthropiques, il a commencé par faire des études en biologie à l’université de Pékin avant d’obtenir un Ph.D toujours en biologie de l’université du Texas et un post-doctorat de l’université de Berkeley.
En 1999, il produisit un documentaire sur la Silicon Valley, son histoire et sa culture pour le marché chinois. La même année, il fonde avec Robin Li Baidu. En 2005, Baidu fait une entrée fracassante sur le Nasdaq valorisant la société à 872 millions de dollars. Or à l’ouverture, le cours avait déjà été multiplié par trois. Ce trésor de guerre qui ne portait que sur 12,5% de son capital lui a servi, dans un premier temps, à renforcer son capital de brevets.
La Silicon Valley est donc le lieu d’inspiration et presque de naissance de Baidu. Quant aux deux fondateurs, ils sont élégants et presque élevés au rang de pop-stars par les étudiants chinois. Bref, des beaux gosses.
Pour finir ces portraits qui fleurent bon les success stories à l’américaine, nous dirons que Baidu s’entend comme il peut avec le gouvernement chinois et qu’il respecte à la lettre ses préconisations et interdictions. Au détriment parfois de ses résultats…Plusieurs fois rappelé à l’ordre (notamment pour un défaut d’application de la censure à ses bannières sponsorisées), Baidu se sait sous surveillance.
La censure du Web en Chine s’est considérablement renforcée. Le gouvernement chinois ne se contente plus de redresser les contenus trop politiques. Il a décidé de mener des campagnes contre l’occidentalisation décadente de la société chinoise. Il a enjoint Baidu de mener des actions contre la pornographie, la vulgarité ou la vente de produits illicites.
Baidu préfigurateur de l’automobile du futur, la voiture plateforme
Malgré le ralentissement de la croissance chinoise et les pressions gouvernementales, les résultats de Baidu sont très impressionnants et ne concernent pas uniquement le moteur de recherche.
Croissance
En 2018, le CA de Baidu atteignait 102 milliards RMB (plus de 15 milliards de dollars) pour 40.000 employés. Par comparaison, Google est beaucoup plus gros puisque son chiffre d’affaires en 2018 était de 110 milliards de dollars. Sur ce créneau, Google est le concurrent le plus menaçant pour Baidu. En effet, il rêve de conquérir les 20% de la population internaute que représente la Chine et multiplie les négociations avec le gouvernement chinois. Preuve en est, ses investissements dans le projet “Dragonfly” au sein de Google (une version du moteur de recherche à destination du territoire chinois, intégrant les règles de censure voulues par les autorités).
Part de marché des moteurs de recherche en 2018
Outre les activités du moteur de recherche, Baidu se renforce sur les applications (Baidu App) dont le CA atteignait 24 millions de dollars en hausse de 24% sur un an. La star des applications de Baidu, l’application de vidéos courtes Haokan a atteint 19 millions RMB de CA contre 1 million il y a un an.
Technologie
Le discours de Baidu pour 2018 est très clair. L’activité recherche du groupe est centrée sur le déploiement de l’Intelligence Artificielle afin d’alimenter et assister l’assistant vocal Duer mais également s’assurer d’une vraie supériorité en matière de transport intelligent et de conduite autonome. Autorisé par le gouvernement chinois à procéder à des tests de voitures autonomes à Pékin, il a développé via son programme Apollo le premier bus autonome chinois qui comporte 14 places.

Pékin, année 2000, avant le grand bond
Apollo
La plate-forme Apollo se compose de trois parties : localisation, plateforme logicielle ouverte et plateforme de cloud. Elle fournit aux partenaires des services cartographiques et des données. Il existe, d’ailleurs, plusieurs plateformes Apollo, annoncées lors du CES 2019 (Apollo 3.5 et Apollo Enterprise) qui regroupent plus de 130 partenaires. La voiture plateforme de Baidu est conçue comme un regroupement de technologies et de services dont Baidu est le chef d’orchestre. Ses alliances reconfigurent la voiture comme un service de mobilité plateformisé. Dans une voiture Baidu, on trouvera :
- Des puces Nvidia, Intel
- Une fabrication Daimler, Ford
- La technologie Lidar indispensable pour la voiture autonome (capteur de détection et d’estimation de la distance par la lumière)
- Le mapping grâce à TomTom
- Le cloud Microsoft
- L’OS Blackberry
Par ailleurs, Baidu a un vrai savoir-faire en matière de Machine Learning. Il a battu Google sur le terrain de la reconnaissance d’images au challenge ImageNet[2] grâce à son super-ordinateur Deep Image.
Baidu est une entreprise plateforme depuis longtemps
La majorité de ses produits sont conçus comme des plateformes dans leur écosystème. Voici comment Baidu décrit certains de ses produits phare :
Baidu PostBar est une plateforme de médias sociaux.
Baidu WenKu est une plateforme de partage de documents en ligne.
Baidu Mobile Assistant est une plateforme qui offre un large éventail d’applications et formule des recommandations intelligentes basées sur le Big Data.
Baidu Nuomi est une plateforme de services locaux qui offre de multiples services et produits à ses utilisateurs, y compris des services de divertissement (tels que le cinéma, la billetterie de transport et le tourisme), de restauration, de réservation d’hôtel, de santé et de beauté.
Baidu Takeout Delivery est une plateforme en ligne sur laquelle les utilisateurs peuvent passer des commandes de livraison de nourriture auprès des restaurants. Elle utilise les capacités de mapping de Baidu.
Plateforme également, la star de Baidu, iQiyi plateforme vidéo en ligne. Elle est décrite comme le Netflix chinois.
La plateforme derrière la muraille
Baidu est une entreprise ouverte puisque plateformisée. Elle compte partir à la conquête du monde grâce à sa voiture autonome. Ouverte et protégée, voici le paradoxe de Baidu et son atout numéro 1.
Sa première protection est celle de la langue. La langue est une formidable barrière à l’entrée. Google n’est pas très performant, pour l’instant, en mandarin.
Sa deuxième protection est son marché captif. Google, Facebook et autre Amazon sont interdits de passage. La grande muraille s’élève devant eux, longue et hostile. Les gardes rouges sont toujours là. En apparence débonnaires…En fait, veillant avec jalousie à leurs valeurs politiques (plus qu’à leur système politique hybride), ils protègent la longue muraille de dix mille li.
Ce marché captif assure à Baidu une croissance insolente. Le monde chinois n’est pas encore saturé d’acteurs et le monde asiatique est à portée de main.
Croissance versus capitalisation
Preuve en est, le nombre d’utilisateurs quotidiens actifs de Baidu App (” DAU “) qui a atteint 161 millions en décembre 2018, soit une augmentation de 24 % par rapport à l’année précédente.
Baidu se classe 4ème mondial en temps passé et pages vues par visiteur. Or, Baidu n’est qu’à la moitié du chemin, plus de 700 millions de fans sur une population cible de près de 1,4 milliards.
In media via post murum
[1] L’univers, histoire et description de tous les peuples, F. Didot frères, 1844
[2] https://www.numerama.com/magazine/33099-google-battu-par-le-chinois-baidu-sur-la-reconnaissance-d-images.html
Laisser un commentaire