Cet article est tiré d’un billet écrit pour la société Digimind. Chaque année Digimind sort un livre blanc très attendu, celui des tendances digitales de l’année. Digimind est une société de Social Listening qui permet de réaliser de la veille stratégique et de l’écoute active du Web. Elle dispose d’outils d’ Intelligence Artificielle et compte parmi ses clients Boulanger, Meetic ou Suez. Christophe Asselin de Digimind m’a proposé cette année de faire partie des 35 experts de ce guide prospectif, choisis dans des secteurs très divers : e-commerce, conseil, marketing digital…Seule universitaire, je succède au très médiatique Olivier Ertzscheid, créateur du Blog Affordance. Olivier avait écrit l’année dernière un billet sur le thème du visage, un territoire en cours d’exploration intensive par le Web.
J’ai choisi de me concentrer sur la Chine. Décrite comme l’eldorado du e-commerce, la Chine se plateformise à une vitesse phénoménale. Les plateformes chinoises veulent prouver à leurs dirigeants que leur utilité sociale va bien au delà du commerce. Eduquer, nourrir, soigner représentent un nouvel axe plus sociétal et plus en phase avec les difficultés de l’époque.
Eduquer, nourrir, soigner…les innovations digitales chinoises préfigurent-elles de nouveaux usages sociaux ?
Les crises climatiques et sanitaires que traverse le monde accélèrent sa digitalisation. Elles donnent au numérique de nouvelles opportunités de marché dans des domaines cruciaux : l’éducation, la santé et l’agriculture. Sur ces trois secteurs, la Chine a pris une longueur d’avance et dispose de champions qui pourraient préfigurer les nouveaux usages sociaux de la planète.
L’éducation dans les zones reculées de Chine
En matière d’éducation, les plateformes comme Tencent Meeting (Voov Meeting) intégré à l’écosystème WeChat ou DingTalk (Alibaba) pourraient s’imposer comme des universités virtuelles gigantesques. DingTalk serait utilisé par plus de 120 millions d’étudiants chinois. Un géant de la vidéo comme Kwai appartenant à Kuaishou revendique 200 millions de vidéos éducatives courtes. Le nombre de vues quotidiennes excède les 2,2 milliards. Ces plateformes sociales éducatives présentent de très nombreuses similitudes avec les réseaux sociaux d’entreprise. Une deuxième génération de réseaux sociaux éducatifs se profile en Chine. Tal Education est une application mobile éducative mais aussi une plateforme de contenus qui propose des conférences, des cours de physique et également un apprentissage du mandarin à destination des enfants de provinces reculées. En un sens, Tal Education suit le principe de base des réseaux sociaux : connecter les individus entre eux et leur fournir un contenu adapté. Capable de remplacer l’école, l’application est centrée sur les fondamentaux pour les tout-petits à savoir lire, écrire et compter en chinois. Tous ces réseaux sociaux éducatifs représentent un marché estimé à 58 milliards de dollars en 2020.
La médecine plateforme
Concernant la médecine, WuXI AppTec applique le social au domaine de la santé et de la recherche de traitements personnalisés. A priori, WuXI Apptec ressemble à une entreprise pharmaceutique classique. Axée sur la biotechnologie, les thérapies cellulaires et génétiques, WuXi se distingue par son utilisation extensive des plateformes collaboratives. Sa plateforme en libre accès permet à plus de 4 100 collaborateurs de plus de 30 pays de travailler sur des innovations en matière de santé. Venant directement du monde du e-commerce, JD Health est une filiale de JD.com, le leader chinois de la distribution. JD Health est la plus grande plateforme de soins de santé en ligne et la plus grande pharmacie de détail en ligne en termes de chiffre d’affaires en Chine en 2020. Comme ses concurrents Ping An Good Doctor et AliHealth d’Alibaba, JD Health fait état d’une hausse de ses utilisateurs. En 2020, la plateforme accueillait plus de 100 000 consultations en ligne par jour – un chiffre qui a atteint un pic de 150 000 au plus fort de l’épidémie de Covid-19 en Chine. La crainte des patients de se rendre dans les hôpitaux lors de l’épidémie de coronavirus en Chine a fait bondir les consultations. Les plateformes d’e-santé sont également un moyen de combler les déserts médicaux chinois car les meilleurs médecins et équipements sont concentrés dans les hôpitaux de haut niveau des grandes villes du pays.
Une agriculture sans intermédiaires
Quant à l’agriculture, un acteur comme Pinduoduo est en train de redéfinir la chaîne de valeur de l’agriculture chinoise. Initialement, Pinduoduo est le Groupon chinois qui a fait sa réputation sur les prix bas grâce à l’achat groupé et sa proximité avec les usines de production. L’agriculture est devenue son nouveau terrain de jeu. Il est possible d’acheter sur Pinduoduo des produits frais. Introduit en Août 2020 à Wuhan, le programme Duo Duo Maicai surfe sur les nouvelles tendances de consommation “après-Covid” avec une appétence plus forte des Chinois pour les fruits et légumes frais. Pinduoduo a même su lancer un fruit inconnu des Chinois aux valeurs nutritives et à la capacité de conservation exceptionnelles, le yacon (littéralement poire de terre et tubercule d’Amérique du Sud). Le raisonnement de Pinduoduo est simple : au lieu d’acheter des vêtements, pourquoi ne pas proposer avec les mêmes spécificités que ce qui a fait le succès de Pinduoduo, des fruits frais ou des légumes ? Pinduoduo investit massivement le secteur agricole car le marché du frais est très rentable, la demande étant relativement inélastique. Au début de l’année 2019, Pinduoduo a créé la ferme Duo Duo. L’objectif est de proposer aux agriculteurs des programmes de formation les compétences nécessaires pour vendre directement sur Pinduoduo sans passer par les intermédiaires de la chaîne d’approvisionnement traditionnelle. La vision de Duo Duo Farm est de mieux connecter les agriculteurs – le premier kilomètre – directement avec les consommateurs – le dernier kilomètre.
Les tendances du digital en Chine
De ces quelques exemples, plusieurs tendances données par les sociétés chinoises sont intéressantes et sources d’enseignements pour nos sociétés Européennes.
Première tendance, la diversification sur des secteurs qui étaient assez peu concernés jusque-là par le le collaboratif s’impose et séduit les investisseurs. Des entreprises provenant du e-commerce social se lancent sur des marchés nouveaux en adaptant les recettes qui ont fait leur succès.
Deuxième tendance, la puissance du social et des plateformes semblent sans limite dans une société où la distanciation sociale est la norme. La polémique TikTok et la montée du soft power chinois sont l’arbre qui cache la forêt. La puissance du digital chinois est ancrée dans le hard power numérique du quotidien à savoir le cloud éducatif, l’IA utilisée dans la santé, la logistique C2M (consumer-to-manufacturer) …
Troisième tendance, les réseaux sociaux deviennent des infrastructures virtuelles mais essentielles pour les Etats. Les problèmes d’aménagement du territoire s’améliorent grâce à ces nouvelles applications. Les déserts médicaux, éducatifs et l’isolement des agriculteurs trouvent un début de résolution grâce à ces géants du digital qui ont commencé à vendre des vêtements, des produits électroniques et diffuser UGC et publicités digitales.
Quatrième tendance, un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. Les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi) sont sous surveillance. La pression des autorités sur ces GAFAM chinois est révélatrice de la bataille qui s’annonce entre les forces capitalistes et libre entreprise véhiculées par une nouvelle génération de dirigeants dont la plupart a fait ses études aux USA et le pouvoir chinois qui veut protéger la culture chinoise traditionnelle.
2021 devrait donc voir une reprise en main de certaines initiatives des BATX. A l’instar de leurs concurrents occidentaux, battre monnaie leur est refusé. Leur formidable pouvoir devrait se concentrer sur les bonnes pratiques d’un marketing digital innovant et renouvelé d’un monde inquiet et en pleine crise : se nourrir, se soigner, se former. Ces nouveaux usages sociaux pourraient arriver chez nous portés par des sociétés qui n’existent pas encore…
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