Amazon, le cavalier des instincts primaires

Beabilis a choisi de consacrer cinq billets aux GAFAM (Google, Amazon, Apple, Facebook) et à leurs éventuels successeurs. Ces billets sont tirés du livre de Scott Galloway, The Four, le règne des quatre.

 

Il n’a jamais été aussi facile de devenir milliardaire mais il n’a jamais été aussi dur devenir millionnaire (maxime de vie de Scott Galloway)

Scott Galloway est professeur de marketing à l’Université de New York (NYU Stern). Il a siégé aux conseils d’administration de sociétés qui ont toutes disparu, balayées par les quatre. C’était des sociétés des médias, des constructeurs informatiques. Il a aussi fondé Red Envelope, un détaillant multi-canal qui a été, selon ses termes, saigné à blanc par Amazon.

En optimiste invétéré, Scott a décidé de continuer à entreprendre. Il est le fondateur de neuf entreprises.

Les quatre cavaliers se détestent. Heureusement…

Scott Galloway dresse un panorama édifiant des quatre qui, pour lui, ont détruit le concept même de marque. Voici quelques chiffres :

  • Capitalisation boursière de Walmart : 227,6 milliards de dollars
  • Capitalisation boursière d’Amazon : 432, 9 milliards de dollars

Les quatre n’aiment pas recruter.

Le nombre d’employés de Général Motors est de 215.000 et sa capitalisation boursière par employé de 231.000 dollars.

Le nombre d’employés de Facebook est de 17.049 et sa capitalisation boursière par employé est de 20,5 millions de dollars.

Les quatre décident de ce que vous devez savoir sur un produit et, donc, de ce que vous devez acheter. Le premier site utilisé en premier pour une recherche de produit est Amazon à 55% et Google à 28%.

Les quatre pratiquent la politique de la terre brûlée. Ils captent les milliards au détriment des sociétés très capital-dépendantes. Ils rachètent la concurrence à tour de bras (20 milliards de dollars pour le rachat de WhatsApp par Facebook).

Heureusement, ils se détestent. Ils se font la guerre « Apple et Amazon entrent en collision sur les écrans de nos TV ou téléphones (…), Siri (Apple) et Alexa (Amazon) deux voix mais une seule en sortira, le Cloud est théâtre de leurs nouveaux combats…

Voici le portrait de ces titans numériques.

Amazon, une économie de chasseurs-cueilleurs

Pour Scott Galloway, Amazon répond à nos instincts de chasseurs-cueilleurs mal dégrossis. La consommation est une chasse. Entasser, c’est prévoir les périodes de famine. La maison est notre caverne. Pouvoir stocker nos proies dans notre caverne sans avoir à sortir, risquer sa vie ou parcourir des kilomètres est tout simplement génial. Plus on accumule, plus on séduit. Sexe et consommation sont intrinsèquement liés.

Peu d’industries ont créé plus de richesse en puisant dans nos moi consommateurs que le commerce de détail

Galloway décrit les débuts d’Amazon : des livres et un entrepôt. Et bien sûr, très vite des robots.

Amazon suit une stratégie militaire à savoir une boucle d’observation, d’orientation, de décision et d’exécution. Les détaillants dont beaucoup sont au bord de la faillite commencent à comprendre la dernière manœuvre que la suivante est déjà mise en œuvre par Amazon.

Résultat, en 2016, 52% des ménages américains étaient abonnés à Amazon Prime…De 2006 à 2016, l’évolution du cours de bourse de l’action Amazon a progressé de 1910% contre 2% pour Walmart, -46% pour Macy’s, -95% pour Sears.

En 2018, Amazon représente près de 50% des ventes en ligne.

Amazon a grandi autour de la confiance. La confiance est obtenue grâce à une qualité de prestation irréprochable. Grâce à la confiance aveugle de ses clients, Amazon peut proposer une expérience sans couture. Ce que Galloway appelle la friction (la plus grande friction étant le paiement) est en passe d’être éliminée par Amazon. Au moment où les détaillants comme Auchan commencent à se dire prêts à faire du Amazon Go, ils n’ont pas vu venir la prochaine manœuvre : Alexa.

 

L’assistant personnel Alexa mêle divertissement (Alexa, choisis ma musique) et consommation (Alexa, livre moi du dentifrice). Vision ultime du sans-couture, le livreur a votre code d’entrée et dépose les produits dans votre salon. A moins, de se lancer dans une stratégie expérientielle délirante (des centres commerciaux qui deviennent à coup de millions d’euros des centres de loisir), les détaillants ont perdu.

Story-Telling = Capital bon marché pour un anti-capitaliste

Amazon accumule succès ET échecs. Avant d’être rentable, Amazon avait déjà levé 2,1 milliards de dollars investis dans la recherche et le développement marketing.

Jeff Bezos a su raconter une histoire très simple. Il était une fois le plus grand magasin du monde. Il ne vivait que pour ses consommateurs qui y trouvaient prix le plus bas, choix le plus vaste, livraison la plus rapide…En un mot, le monde à portée d’un clic.

Amazon a surtout su imposer une nouvelle logique qui n’est PAS capitaliste.

La logique d’affaires habituelle consiste à lever de l’argent et à rémunérer les actionnaires au détriment de l’investissement. La logique d’Amazon est d’investir pour s’assurer des positions dominantes sur les marchés qu’il vise.

Le pire est que la stratégie d’Amazon ne marche que pour Amazon. Quand Walmart a annoncé de forts investissements sur les nouvelles technologies, il perdait 20 milliards en bourse le lendemain.

Amazon divise le risque en deux catégories. Le risque 1 est associé aux investissements indispensables à la survie de l’entreprise. Un nombre élevé de capital est consacré à la robotisation des entrepôts. Ce n’est pas négociable car cela touche la survie même d’Amazon. Par contre, la communication sur le sujet est très …discrète voire inexistante.

Représentation jolie d’un robot et de son bébé

 

Le risque 2 concerne des brevets comme un projet d’entrepôt flottant ou un système de protection des drones contre le tir à l’arc ! La presse adore ce genre d’histoire qui donne à l’entreprise une image loufoque et sympathique. Quelle erreur d’appréciation…

En fait, Amazon est très prudent en ce qui concerne les investissements de survie. Exemple, elle n’a ouvert que quelques magasins physiques car elle cherche encore la bonne formule et le zéro défaut technologique.

Amazon ne jure que par le monde réel (terre, mer, eau).

Aujourd’hui AWS (technologie de réseau de serveurs et de stockage de données) a connu une croissance ininterrompue et devrait avoisiner les 42 milliards de dollars de revenus en 2020.

Mais Amazon vise aussi l’air (les drones), la terre (les magasins physiques), la mer (le projet de flotte Amazon). Le transport maritime est un des grands chantiers de Bezos. L’activité génère dans le Pacifique 350 milliards de dollars mais les marges sont faibles car c’est un secteur nécessitant beaucoup de capital humain (chargement, déchargement, administratifs…) à moins que des robots deviennent les dockers de demain.

Quant aux magasins physiques, en rachetant Whole Foods, Amazon a fait main basse sur 460 magasins situés dans des quartiers aisés. En fait, Amazon ne rachète pas des magasins. Dans sa tête, Bezos rachète des entrepôts, certes de luxe mais des entrepôts quand même. Les boutiques Whole Food sont vues comme des points de dépôt pour les retours des commandes en ligne, des plateformes de transit. Cela entraînera une baisse radicale des coûts de livraison et une proximité réelle avec l’internaute. Il ne reste plus qu’à racheter des bureaux de poste et des stations-services de préférence dans des zones peuplées et riches.

Alexa, comment pouvons-nous tuer les marques ? Ah, mince, nous avons tué le consommateur.

Comme le fait remarquer Galloway, il apparaît clairement qu’Amazon veut rediriger son activité e-commerce vers Alexa car les prix des commandes vocales sont moins élevés que ceux des commandes via le site.

Alexa suggère Amazon Basics, la marque distributeur d’Amazon d’une voix innocente et déclare « Désolée, je n’ai rien trouvé d’autre ».

Cette voix innocente sonne le glas des marques. Les marques ont investi considérablement pour payer leur place dans les rayons des distributeurs. Elles vont devoir payer des mots à Alexa, des expressions…Si Alexa le veut bien. La marque n’est plus visible, plus touchable, plus « expériençable ».

Elle est encore plus fragilisée que sur une place de marché type Google Shopping.

Le pourcentage des personnes aisées pouvant identifier une marque favorite est passé de 80% pour une marque de mode en 2007 à 61% en 2015, pour un détaillant de 47% à 28%, pour l’hôtellerie de luxe de 67% à 37%.

Galloway conclut un peu désabusé qu’il n’y a pas que les marques qui seront perdantes. Il raconte qu’il a payé ses études en travaillant dans les magasins.

En 2015, on dénombrait 1,2 millions de magasiniers, 2,8 millions de personnel de vente, 3,4 millions de caissières aux Etats-Unis.

Que vont-ils devenir ?

Bon sang, Jeff propose une vision digne de ce nom. Et l’homme bordel !