Moi, Marie-Thérèse-Louise de Savoie-Carignan, princesse de Lamballe, suis morte de la plus vilaine des façons. Bien après ma mort, je me demande encore ce que j’ai fait pour sortir si brutalement de la vie. Le 03 septembre 1792, une foule hurlante et en deçà de toute humanité me mit à mort. Je sortais du tribunal où j’avais été élargie. Pour moi, j’étais libre. Mais dehors, une troupe de gueux m’attendait. On m’ôta mon bonnet, lança une bûche dans le dos et me déshabilla. On m’hurla moultes insanités, griffa, blessa avec des piques et des faquins à qui je n’avais causé aucun tort abusèrent de moi. On se reput de ma nudité et pour finir coupa ma tête avec un couteau mal aiguisé sur une borne entre deux ruelles. J’ai souffert atrocement au début. La peur me submergea. Puis j’eus une grâce qui ne me fit plus rien ressentir.

Dans l’entre-deux de la mort et de la vie, dans cet état où vous ne respirez plus mais où des images fulgurantes s’imposent à votre âme, je revois ma tête ensanglantée brandie devant les fenêtres de la Reine, celles de la Tour du Temple où on l’avait enfermée. Je la sais perdre conscience tant la vision atroce de mon supplice la bouleversa. Je ne suis plus mais j’ai encore suffisamment d’énergie pour avoir souvenance de mon existence passée. Je suis une âme qui parcourt Paris inlassablement. Ma mort fut sans doute trop brutale pour mettre définitivement fin à mon existence terrestre à moins que je ne sois condamnée à errer en Purgatoire éternellement. Je demande donc humblement à Notre Seigneur de mettre un terme à cette promenade si peu plaisante. Attendait-il de ma part une quelconque repentance ? Pourquoi cette haine irraisonnée sur le Roi, la Reine, moi-même et mes pairs ?  Et je me suis souvenue des atroces billets qui circulaient sur notre compte…

Des billets qui colportaient les plus horribles faussetés

Ils étaient partout, lus devant des foules hilares. Ces méchants écrits se répandaient comme la peste noire. Ils suivaient les quais de la Mégisserie, traversaient la Seine par le Pont Neuf avant d’être déclamés rue du Colombier . On les trouvait aussi à la Halle au Vin et ils s’engouffraient dans la rue de Sève comme le mauvais vent. Par la rue de Babilone, ils atteignaient presque l’Hôtel Royal.  Le bas peuple se les arrachait. J’étais désignée à la vindicte populaire comme la maîtresse de la Reine. Ces délires saphiques étaient pure calomnie mais tous feignaient de les prendre pour vérité.

Certes, j’aimais la Reine plus que tout. Elle m’appelait « mon cher cœur ». Elle me nomma surintendante de sa maison. Je n’avais pas besoin d’elle pour faire ma fortune. J’étais née riche et le devins plus encore par mariage. Mon mari, Prince de Lamballe, était un dépravé. Il mourut jeune d’une maladie honteuse que j’attrapai et qui me laissa en partie défigurée. Veuve, riche et sans enfant, je dérangeais car je voulais m’élever au-dessus de ma condition de femme.

Le Roi deux fois impuissant, sur la Reine et sur la dette

Les pamphlets raillaient l’impuissance du Roi. C’est pour cela que l’on prêtait à la Reine maîtresses et amants. Mais ce n’est pas cette impuissance-là qui causa notre perte.  Bien des années auparavant, le grand-père du roi, sa majesté Louis XV avait essayé de les faire taire sans résultat. Il avait même édicté, dès l’an de grâce 1763, une ordonnance royale sur la réforme des finances qui imposait un silence absolu sur nos ennuis d’argent.  Il fallait bien y remédier par l’impôt et aucun de ses sujets ne devait s’abaisser à critiquer par billet ou chanson sa politique. Fi de tout cela. Les calomnies s’amplifièrent. Si la France était ruinée, seules les dépenses inconsidérées de la cour étaient à blâmer… Bien des années plus tard, ce furent les indiennes de la Reine, ses poufs et son coiffeur Léonard qui furent livrés en pâture.

Tous contre tous

Le roi était bon et ces mauvais pamphlets l’attristaient au plus haut point alors qu’ils auraient dû le soucier. La cour vivait dans l’insouciance et avait oublié depuis fort longtemps qu’une des victimes de ces cabales était Madame de Pompadour née Poisson.  Fille d’un financier, elle représentait tout ce que le peuple honnissait. On lui réserva les Poissonnades. On jalousait sa richesse et sa beauté. Elle était bourgeoise et l’aristocratie fomentait contre elle quantité de complots qui avaient l’aval du peuple. Plus tard, ce sont les bourgeois qui financeront ces médisances en utilisant les pauvres hères des villes contre nos bons curés, seigneurs et princes de sang. Tous contre tous, voici la devise de ces horreurs de papier. Madame de Pompadour mourut de phtisie dans son lit. Pas moi, ni le coiffeur Léonard, ni la Reine et le Roi. Les mots tuent plus sûrement que la vérole.

Vite lus, vite crus ou les ravages de l’instruction et de l’anonymat

Ces billets comportaient des dessins peu flatteurs du Roi et de la Reine. Le peuple aimait ces images. Mais le pire était que beaucoup savaient lire. Les billets se répandaient par l’image mais également par le texte. Il était souvent court avec des mots et des rimes qui restaient en mémoire. Ceux qui les lisaient les racontaient à ceux qui ne savaient pas. Et, ainsi, la rumeur se répandait partout car parmi tous ces gens, assez peu atteignaient des positions enviables. Certains connaissaient les livres et vivaient dans la fange. Pire, plus les autorités tentaient de les faire taire, plus ils prenaient de la vigueur. On n’arrivait très rarement à distinguer les auteurs qui jouaient sur les terreurs de la populace. Deux ans avant ma mort, le Tribunal de Rouen s’y était essayé sans plus de succès. Il avait en vain fait chercher l’auteur d’un dessin horrible, Étrennes à la vérité, ou Almanach des aristocrates pour la présente année, seconde de la Liberté.  Il faut bien que le peuple s’amusât de sa propre peur et il était prêt à payer pour cela

Derrière les billets qui ont causé ma mort, que de puissants et de nations étrangères

Qui était derrière ces gazetiers et libellistes acharnés ? On cita le Duc d’Orléans, le propre frère du Roi qui rêvait de prendre sa place. On découvrit que des femmes se complaisaient à écrire la plus effroyable littérature, des dames de la cour ou de petite noblesse. On sut que des espions à la solde de l’Angleterre, français de naissance et patrons de presse ont prêté leur concours à ces accusations.

Nous avons cru à une révolte alors que c’était une révolution. Nous n’avions pas avec nous la presse naissante, ni les brillants esprits qui noircissaient ces billets. Il n’y avait rien à faire contre cette furie montante. Peut-être est-ce tout simplement le destin des empires déclinants et des sociétés mourantes.