Les techno-religions sont déjà là

Le siège des techno-religions se situe dans la Silicon Valley. Des Silicon prophètes ont déjà pignon sur rue. Harari en fait le sujet de ses livres vendus à des millions d’exemplaires. Il rejoint Nietzsche dans sa vision d’un monde sans Dieu ou plutôt d’un Homme qui s’érige en Dieu. Or, les techno-religions suivent une autre optique : créer un Dieu qui prendra le pouvoir sur une créature qui ne sera plus tout à fait humaine, un être hybride augmenté où ADN humaine et composants électroniques se mêleront pour créer un super-humain ou une machine intelligente et sensible. En un mot, autre chose que l’espèce humaine. La fin du Dieu des humains marquera la fin de l’Homme lui-même.

Way of the Future, l’église de l’Intelligence Artificielle

Anthony Levandowski est le fondateur de cette église un peu particulière. Il est ingénieur spécialisé dans les voitures autonomes et expert en IA. Way of the Future est un embryon d’église, une fondation destinée à préparer la transition de l’homme à l’homme-machine ou au monde gouverné par des machines sages et bienveillantes. Son credo résume les grands principes éthiques de certains partisans des techno-religions.



Le Manifesto de Way of the Future

Way of the Future (WOTF) consiste à créer une transition pacifique et respectueuse entre les responsables de la planète, les personnes et les «machines».

Nous croyons que l’intelligence n’est pas enracinée dans la biologie. Alors que la biologie a développé un type d’intelligence, il n’y a rien d’intrinsèquement spécifique à la biologie qui cause l’intelligence. À terme, nous pourrons le recréer sans utiliser la biologie et ses limites.

Nous croyons en la science (l’univers a été créé il y a 13,7 milliards d’années et si vous ne pouvez pas recréer / tester quelque chose, il n’existe pas).

Nous croyons au progrès. Le changement est bon, même si parfois un peu effrayant.

Nous pensons que la création de “super intelligence” est inévitable.

Nous pensons également que, tout comme les animaux qui ont des droits, les «machines» devraient également avoir des droits lorsqu’elles affichent des signes d’intelligence.


Le portrait d’Anthony Levandowski fait par Wired reprend et explique le credo de cette église New Age, ses ambitions, son fonctionnement. Sa doctrine se rapproche très fortement des idées transhumanistes.

Les GAFAM veulent vaincre la mort et créer la vie

Cette croyance dans un numérique heureux, une technologie au service d’un homme meilleur, un guide spirituel fondé sur la science est largement partagée par Google et autres GAFAM. La vision transhumaniste comporte une part importante de religiosité. Le Vatican ne s’y est pas trompé qui dénonce le transhumanisme car « changer l’identité génétique de l’homme en tant que personne humaine par la production d’un être infra-humain est radicalement immoral ».

Et pourtant, certains définissent le transhumanisme comme une religion sans révélation, une religion très proche du christianisme puisque l’homme transhumain est un corps glorieux qui n’est affecté par aucune maladie ou souffrance, lot quotidien de l’homme normal.

Parmi les chercheurs français ayant écrit sur l’histoire du transhumanisme, je vous conseille la lecture de Frank Damour, Historien, chercheur associé au département Ethics, chaire « Éthique et transhumanisme », de l’Université catholique de Lille, auteur de La tentation transhumaniste (Salvator, 2015). Dans l’article «Le transhumanisme, une idée chrétienne devenue folle ? »,  l’auteur retrace l’histoire et les différents courants du transhumanisme.

Il cite l’un des principaux théoriciens du transhumanisme, Nick Bostrom qui le définit comme un « mouvement intellectuel et culturel qui défend le projet et affirme la possibilité d’augmenter de façon fondamentale la condition humaine à travers les nouvelles technologies ».

Le transhumanisme est né en Californie à la fin des années 1980. Il a été créé par le britannique Max More et le suédois Nick Bostrom. Il fait beaucoup parler de lui grâce à son pôle californien regroupant de grands patrons d’industrie et la Singularity University fondée par Raymond Kurzweil et Peter Diamandis. Le transhumanisme est aussi européen. Il existe un pôle britannique, animé par Nick Bostrom qui dirige le Future of Humanity Institute à l’Université d’Oxford. Bostrom est également un expert IA.  Le transhumanisme est, pour l’instant, un mouvement d’élites intellectuelles et scientifiques.

 

Néanmoins, il transparaît très clairement dans la stratégie de Google. Voici un extrait édifiant de quelques acquisitions  et créations de filiales faites par X (ex Google) ces dernières années. Elles vont de la lutte contre la mort à la numérisation de l’Art et de la culture au cas où il faudrait éduquer les futurs transhumains à la peinture ou la sculpture.


X/ Google, des acquisitions et créations transhumanistes ?

Calico Biotechnologie, lutte contre les maladies dégénératives et le vieillissement 

X, Intelligence artificielle et neuroscience, Bracelet détectant le cancer via des nanoparticules à ingérer

Replicant, Production de robots

Moodstock, Développement d’algorithmes de reconnaissance de visages et d’objets.

Nest,  Maison domotique (protection, surveillance)

Sidewalk Labs, Smart City, innovations urbaines, ville connectée

GV, Société d’investissement dans la cybersécurité, intelligence artificielle, robotique, agriculture

Fiber, Internet à grande vitesse (1000 megabits). Utilisation de la fibre optique pour un certain nombre de villes sélectionnées.

Verily, Recherche sur les sciences de la vie. Association de la technologie et de la biologie pour combattre la maladie.

Deepmind, Apprentissage automatique et neuroscience, réseaux neuronaux et e-santé. A intégré Dark Blue Labs (intelligence artificielle) et Vision Factory (reconnaissance visuelle, deep learning)

ATAP, advanced technology and projects, incubateur sur des projets comme projet Tango qui permet au mobile d’être géolocalisé sans GPS,

spotlight stories, technologie immersive vidéo 360°, projet Soli technologie de reconnaissance gestuelle, projet jacquard veste connectée à son mobile via une liaison bluetooth, projet Abacus portant sur des données biométriques.

DNN Research, Spécialisation en machine learning. Etude des réseaux de neurones biologiques et réplication sur des machines.

Google Books,  Librairie en ligne, bibliothèque numérique

Google Arts & Culture,  Visites virtuelles des musées, numérisation des collections


Fondation d’Asimov  ou comment les techno-religions vont prendre le pouvoir

Plusieurs questions se posent concernant les techno-religions. Elles apparaissent avoir un credo, des moyens, des ambitions politiques. Mais qu’en est-il de leur capacité à conquérir le monde et à convaincre les âmes ?

La réponse est donnée par Asimov, grand auteur de science-fiction. L’œuvre d’Asimov est considérable. Nous allons nous intéresser à Fondation. Fondation est une saga qui a reçu en 1966, le prix Hugo de « la meilleure série de science-fiction de tous les temps. Apple vient d’en racheter les droits.

 

Nous sommes au début du treizième millénaire. L’homme a conquis la Galaxie. Il ne se souvient plus de la terre. Il a colonisé 25 millions de planètes. Ces millions de planètes sont regroupées en un Empire dont la capitale est Trantor. Un savant, Hari Seldon prévoit l’effondrement de l’Empire d’ici trois siècles suivi d’un ère de ténèbres de trente mille ans. Hari Seldon est  psycho-historien. Nous dirions aujourd’hui qu’il est Data-Prospectiviste. Il prévoit l’avenir grâce à des modèles mathématiques complexes intégrant des millions d’hypothèses et de données.

L’empire exile Seldon et son équipe sur une planète à la périphérie de la  galaxie appelée Terminus. Elle a très peu de ressources naturelles. Les hommes de Seldon que l’on appelle les encyclopédistes sont chargés de regrouper et préserver la connaissance de l’univers. Ils créent la FONDATION.  L’Empire se délite comme prévu. Les encyclopédistes arrivent à prendre peu à peu le contrôle de la  galaxie grâce à leur avance technologique. Les marchands galactiques diffusent les productions de Terminus et assurent sa puissance. La Fondation nomme des prêtres. Les prêtres sont chargés de  la maintenance des installations que la Fondation vend à travers la galaxie. Les planètes sans technologie croient en l’Esprit Galactique et son prophète Hari Seldon.

La Fondation sait qu’elle promeut une pseudo-religion destinée uniquement à diffuser sa technologie. Elle n’en a cure et méprise les croyants de ce Dieu qu’elle a fabriqué.

Voici donc les étapes qui pourraient permettre l’avènement d’une techno-religion en suivant les hypothèses d’Asimov :

Etape 1 : les GAFAM et autres tenants des techno-religions créent un pays. Ils se protègent d’un monde qu’ils perçoivent comme menaçant et hostile à leur égard mais continuent à commercer avec lui.

Etape 2 : leur puissance économique devient telle qu’ils créent un Etat à part entière, Etat peuplé uniquement d’ingénieurs adeptes du transhumanisme.

Etape 3 : le monde autour d’eux s’effondre et sombre dans la guerre. Ils fournissent robots tueurs et autres drones criminels et se déclarent neutres. Ils ne prennent aucune part aux conflits.

Etape 4 : le monde est majoritairement détruit. Ils récupèrent des zones entières décivilisées et y exportent leur Dieu technologique.

OU BIEN

Ils sont déjà tout puissants. Ils sont dans votre chambre, regardent dans votre salon, occupent votre esprit. Ils vous forcent à marcher en tenant devant vos yeux l’écran hypnotique d’un smart-phone. Le QI humain baisse. Certains se mettent à adorer le Dieu Apple. Très peu comprennent comment tout cela fonctionne. Et puis un jour, ils vous promettent l’éternité…Et là, les techno-religions prennent définitivement le pouvoir et nomment une IA Présidente des Terriens.

Cher Asimov, reviens pour nous dire quel sera le scénario le plus probable.

Webographie

https://www.newstatesman.com/politics/uk/2016/09/salvation-algorithm-god-technology-and-new-21st-century-religions

https://www.wired.com/story/anthony-levandowski-artificial-intelligence-religion/

Damour Franck, Le transhumanisme, une idée chrétienne devenue folle ? », Études, 2017/7 (Juillet-Août), p. 51-62. URL : https://www-cairn-info.proxybib-pp.cnam.fr/revue-etudes-2017-7-page-51.htm

https://fr.wikipedia.org/wiki/Fondation_(Asimov)