Cet article est tiré d’une interview donnée à « Culture Papier », une association chargée de promouvoir les aspects positifs du papier (livres, imprimés publicitaires…).

 

Dans votre dernier livre, Web crash, le jour où le web a fait faillite, vous anticipez une crise globale du web, qu’est-ce qui vous a poussé à imaginer ce scénario catastrophe ?

Cela fait un certain temps que mes étudiants de formation continue (chef d’entreprise, directeur marketing, responsable acquisition de trafic) me font part de difficultés dans la réalisation de leurs campagnes : baisse des coûts aux clics, hausse du CPL (coût par lead), opacité des process d’achat, notamment en programmatique, baisse de l’engagement sur les réseaux sociaux. En me penchant sur les chiffres, je me suis rendue compte d’une augmentation des ransomwares (logiciels de rançon) alimentée par des IA pirates, un accroissement de la fraude au clic via les robots cliqueurs ou bots. Les problématiques de sécurité s’ajoutent à un encombrement du réseau qui fait que les phénomènes de plantage vont devenir de plus en plus courants dans les années à venir. Cette saturation d’Internet augmente du fait de la surconsommation de contenus de moins en moins qualitatifs comme les vidéos courtes sur TikTok et la généralisation de l’IoT (objets connectés). Les problématiques d’addiction rejoignent celles de la dépendance des entreprises aux Gafam, la perte de la libre concurrence sur les places de marché qui poussent des algorithmes qui privilégient les avis client et le prix bas. Or, là aussi, la fraude est majoritaire. Les avis client sont générés par des sociétés spécialisées. Ils sont tout sauf spontanés. Enfin, on assiste à une remise en cause des réseaux sociaux infestés de Fake News. Parallèlement, Internet, le support physique du Web se révèle extrêmement fragile et peu sécurisé. Internet, ce sont des câbles sous-marins non protégés, des clouds inondables installés sur les côtes et une gouvernance de plus en plus privée et de moins en moins soucieuse de sa pérennité.

 Vous évoquez dans cet essai « les fausses promesses marketing », pensez-vous que ce constat marque un retour à l’équilibre entre les supports numériques et les supports imprimés aux yeux des communicants et des annonceurs ?

Il se passe un changement majeur dans le marketing digital. La fin programmée des cookies tiers rend le marché aveugle. Il devient très difficile d’analyser ses propres données client. Des outils comme GA4 ou Performance Max ne permettent pas aux annonceurs d’analyser réellement les performances de leurs campagnes. Autre problème, l’intégration de l’IA dans toute la chaîne de valeur. Elle conçoit les publications sur les blogs, les posts sur les réseaux sociaux, les e-mailing de façon extrêmement personnalisée. Résultat, une inflation des contenus et une concurrence accrue. Le référencement naturel (SEO) en est profondément déstabilisé surtout que Google a dans ses cartons le Google Search Generative Experience, une nouvelle interface en termes de moteur de recherche. Résultat, les sites qui étaient premiers sur certains mots clé perdent ces positions. Or, le SEO, c’est parfois plusieurs années d’investissements. Face à tous ces changements, l’imprimé se caractérise par sa stabilité. Les prospectus papier engagent le sens du toucher, ce qui peut renforcer la mémorisation de l’information. La texture, le poids, et même l’odeur du papier contribuent à une expérience multisensorielle que le numérique ne peut pas reproduire. Cette interaction physique augmente les chances que le message soit non seulement remarqué mais aussi mémorisé. Enfin, les prospectus papier ont un taux d’engagement souvent supérieur à celui des publicités numériques. Face à la saturation des canaux numériques, un prospectus papier peut se démarquer, offrant une pause dans le flux incessant d’informations numériques. De plus, la démarche d’ouvrir une brochure ou de lire un flyer implique un niveau d’attention et d’engagement que le simple fait de défiler sur un écran ne peut égaler.

 

Contrairement aux idées reçues, les prospectus papier peuvent être une option éco-responsable, surtout s’ils sont imprimés sur du papier recyclé et conçus pour être recyclables. Avec une sensibilisation croissante aux impacts environnementaux, choisir des matériaux durables et responsables peut également améliorer l’image de marque.

 

Vous êtes une spécialiste reconnue du marketing digital, comment percevez-vous la place du Print dans une stratégie globale de marketing ?

Si l’on prend l’exemple des supports imprimés, ces derniers jouissent d’une perception de crédibilité supérieure. Dans une ère marquée par les inquiétudes concernant les fake news et la sécurité en ligne, les prospectus papier offrent un gage de sérieux et de fiabilité. Les consommateurs tendent à faire plus confiance aux informations reçues sur papier avec un émetteur beaucoup plus facilement identifiable. Par ailleurs, ils permettent un ciblage géographique extrêmement précis, idéal pour les entreprises locales souhaitant toucher une clientèle de proximité. Cette stratégie de distribution ciblée est particulièrement efficace pour promouvoir des événements locaux, des ouvertures de magasins, ou des offres spéciales. Elle peut être renforcée par des communications en PQR ou PQN. Le print s’adapte aux nouvelles exigences du marché. Outre un meilleur ciblage et une meilleure attention, le print a su évoluer. Le print redonne de l’indépendance face à des marques qui payent de plus en plus cher leur présence sur les market places. Le retail media, ce nouveau canal qui promet de rapprocher les produits de l’acte d’achat souffre de coûts élevés et de performances commerciales décevantes. Pour finir, loin de s’opposer, le print peut compléter les stratégies numériques. Par exemple, l’intégration de QR codes sur les imprimés peut créer un pont vers le digital, offrant une expérience utilisateur fluide entre les deux mondes.