Le colloque Etienne Thil, colloque scientifique de référence en matière de distribution et commerce, réunit professionnels et chercheurs pour penser le commerce de demain. Cette année l’objectif du 23ème Colloque Etienne Thil nous fait voyager en ligne, Covid oblige. Le petit déjeuner de la Chaire Retailing 4.0 (ESCP&Bearing Point) a ouvert le bal. La thématique portait sur la Chine, nouvel Eldorado du digital. Pour traiter ce thème, le Professeur Olivier Badot, Directeur Scientifique de la Chaire et Professeur à ESCP Business School et Elisabeth Denner, Présidente de la Chaire et Associée chez BearingPoint ont accueilli les personnalités suivantes : Dr Lisa Siebers, Maître de conférences à l’Université de Stirling (Ecosse), Monsieur Florent Courau, consultant, expert Chine et anciennement DG de JD.com France, Madame Caroline Delorme, ex-Directrice digitale des Galeries Lafayette.
Le digital chinois, des chiffres impressionnants
Dr Lisa Siebers, Maître de conférences à l’Université de Stirling (Ecosse) a dressé un panorama très complet du marché du digital en Chine. “Le marché chinois des achats en ligne a connu une croissance de 6,8 % par an ou 20,9 % par trimestre au cours du deuxième trimestre 2020 et a atteint 2 572,74 milliards de yuans de transactions au total. Le mobile est le principal moteur du marché chinois des achats en ligne, avec plus de 86 %. Deux groupes d’âge d’acheteurs ont connu une croissance au premier trimestre 2020 par rapport à l’année précédente, “moins de 25 ans” et “plus de 40 ans”. Les villes chinoises de niveau inférieur (niveau 3 et inférieur) ont connu une croissance d’environ 10 % du nombre total d’acheteurs en ligne par téléphone portable au cours du premier trimestre 2020. (source, ChinaInternetWatch .”
Les principales plateformes de ce gigantesque marché sont les suivantes : Tmall, Pinduodo, JD.com. Par ailleurs, le marché est en train de voir arriver de nouveaux concurrents comme Douyin ou Tik-Tok, des applications fondées sur la vidéo.
Les “Shopping Festivals” sont un élément essentiel de dynamisation du marché. Plus de 70% des consommateurs participent à la journée du 11 novembre, la fête des célibataires. Alibaba a réalisé un chiffre d’affaires de 24 milliards de dollars US avec une croissance de 39% sur ce festival. JD.com a réalisé 19 milliards de dollars au cours de cette même période avec une croissance de 50%. Ces festivals de shopping sont l’occasion idéale pour “les nouvelles” marques de rentrer sur le marché chinois.
Concernant les habitudes de consommation, il apparaît que le digital bénéficie de :
- L’augmentation du revenu disponible
- L’augmentation de l’utilisation de l’internet,
- La demande de produits étrangers. Les consommateurs des classes moyennes et supérieures augmentent leur achat via Kaola.com. Tmall Global et JD Global.
Les consommateurs chinois aiment les produits importés comportant des standards de santé et de sécurité élevées. D’une façon générale, la demande de mode croît plus rapidement que les autres catégories. Les consommateurs chinois sont à la recherche d’expériences et de nouveaux produits.
Alibaba fait figure de pionnier. L’expression “Une nouvelle forme de commerce de détail” a été utilisée par Jack Ma (le fondateur d’Alibaba). Le commerce électronique en Chine repose sur l’intégration d’éléments de vente au détail en ligne et hors ligne mais aussi, les services, la logistique, les Big Data, le marketing, la gestion, etc… Les acteurs en ligne sont les moteurs de cette intégration et promeuvent le passage du Online au Offline comme modèle économique complémentaire. Alibaba a ouvert plus de 150 magasins de détail Hema Fresh (depuis 2017) dans plus de 20 grandes villes. Les clients utilisent une application pour scanner des produits, obtenir des informations et payer leurs courses. Alibaba ouvre également des restaurants robotisés où la nourriture est entièrement commandée par une app et livrés par des robots. D’ici 2030, Alibaba prévoit d’utiliser sa filiale Hema Fresh pour ouvrir des magasins physiques dans 200 villes chinoises de plus d’un million d’habitants. Le graphique suivant montre la part de l’e-commerce dans le total commerce en Chine.

E-commerce share of total retail sales in China from 2014 to 2019
Le social est également extrêmement important. L’intégration des médias sociaux booste la consommation. Les consommateurs devraient dépenser 242,41 milliards de dollars par le biais des programmes sociaux en 2020. Les principales plateformes de commerce social (WeChat, Weibo, et le réseau social QQ) fonctionnent via des mini-programmes et utilisent des messages “push” pour introduire de nouvelles lignes de produits et faire des promotions.
La pandémie a-t-elle touché la première puissance de l’e-commerce ?
A cette question, la réponse est non. Elle a consolidé les grands acteurs. Alibaba, JD.com et Pinduoduo représentent 83,6 % des sites de vente au détail contre 80,3 % l’année dernière. En 2019, les consommateurs actifs annuels d’Alibaba en Chine ont atteint 601 millions, soit une augmentation de 2S millions par rapport à l’année précédente. Cette croissance bénéficie de l’offre diversifiée de produits et d’une logistique résiliente leur permettant de servir les consommateurs pendant la pandémie mieux que les petits concurrents.
Les Flagships, des temples démesurés à la gloire des marques
Nous avons commencé notre tour asiatique par la Corée du Sud, terrain extrêmement intéressant en matière d’innovations digitales. Sophie Kontogiannis, Etudiante MIM, Master 2, gagnante d’un voyage en Corée suite au concours “Imagine l’hypermarché de 2030” organisé par la Chaire, nous a fait part un rapport d’étonnement sur ce qu’elle a pu découvrir dans ce pays en matière de retail. Elle nous a parlé d’effet de halo (impact des magasins physiques sur les ventes en ligne), de shopping iconique et de retail-musée. Une des grandes tendances est de faire rêver le consommateur dans des flagships à la gloire de marques qui créent des territoires esthétiques et puisent dans des références artistiques, culturelles ou historiques. Quelques exemples…Stretch Angels, marque de mode qui a conçu son flagship autour du concept du voyage avec salle d’embarquement, portes de chambres d’hôtel, piscine remplie de ballons et plantes exotiques. La marque est accessible, girly et vise les sud-coréens urbains et jeunes d’où les codes couleur très pastels et le rose comme dominante.

Stretch Angels sur Instagram
Autre exemple, la messagerie instantanée Line Friends et son personnage le plus connu, un petit ours. Comme l’indique https://carnetcoreen.com/line-friends, “

Line Friends
Depuis sa création, Line Friends a ouvert un site de vente en ligne et des boutiques physiques dans lesquelles sont vendus de nombreux produits dérivés à l’effigie des personnages dont le fameux ours Brown. Le flagship de Line Friends à Seoul est une zone d’entertainment où l’on peut manger, prendre un café et faire des selfies avec Brown.
Cette thématique a également été abordée par Valérie Renaudin et Julie Hermann qui réalisent chaque année avec les étudiants du Master Distribution & Relation Client de l’Université Paris Dauphine un voyage d’étude.
Recommandations in-store, hybridation des concepts, des animaux et des robots
Outre les flagships XXL qui ont beaucoup marqué les équipes, Julie et Valérie sont revenues sur un certain nombre de points de bascule du retail actuel.
Les recommandations in-store
Ce type de recommandation est très utilisé chez Amazon Go. La visite d’Amazon Go, concept qui élimine les caisses et permet de payer grâce à son compte Amazon a questionné sur l’IA en magasin et les apports de Whole foods pour l’épicier de produits frais qu’Amazon souhaite devenir.
Amazon Go à Seattle se distingue par un très beau merchandising, une place importante accordée au frais, des échantillons gratuits offerts pour découvrir les marques, une attention aux prix forte avec des offres bien étudiées. La technologie (caméras, identification de l’acheteur) est située dans les plafonds du magasin. Les marges d’erreur sont assez faibles (dans les 20%) et donnent lieu à des remboursements. Tout est très pédagogique pour permettre à l’IA de ne pas se tromper. Voici les principales consignes : mettre une pomme une à une dans votre sac, ne vous coller pas à un autre client…Bref, faites vos courses de façon lisible pour l’IA.

How to Shop
Ce qui a le plus surpris Valérie et Julie est la façon très originale de pratiquer les “recommandations in-store”. Il existe plusieurs types de recommandations in-store :
- La recommandation par les employés (1)
- La recommandation par les autres clients (2)
D’autres critères sont pris en compte comme le temps de lecture. Dans Amazon Book, la librairie ouverte par Amazon, les livres mis en avant sont ceux lus en moins de 3 jours.
Le troisième type de recommandation est la recommandation locale (3) par des personnalités de la région comme Russel Wilson. Ces recommandations sont matérialisées par des étiquettes de couleur placées en dessous des produits.
L’hybridation des concepts
Cette hybridation permet de mêler des atmosphères ou des sources d’inspiration parfois très éloignées de la marque. L’exemple que j’ai eu envie de retenir est celui de Starfield, vrai centre commercial mais également vraie bibliothèque située à Seoul.

Retail Bibliothèque
Autre illustration, Suwashshoo en Corée, temple de la beauté et du maquillage où, au sein d’un building très aérien, il est possible de déguster un thé suivant les rituels de dégustation ancestraux ou de participer à des jeux via la réalité augmentée.
Les animaux
Autre surprise, le traitement réservé aux animaux. En Asie, l’animal (surtout le chien) est vu comme un objet de mode, un accessoire à toiletter, habiller voire déguiser. Il en est de même à Seoul où nos compagnons à 4 pattes ont droit à leur magasin et à leur propre gâteau d’anniversaire.
La troisième partie de la conférence a été consacrée à la puissance du digital en Chine et à ce que cela peut impliquer pour des marques Françaises. Des chiffres, des exemples de bonnes pratiques et des témoignages sur les usages du digital ont permis d’illustrer la montée impressionnante de la Chine en matière d’innovations numériques.
Galeries Lafayette, quelle stratégie commerciale en Chine ?
Caroline Delorme, ex-directrice digitale des Galeries Lafayette (GL) a présenté la Chine comme un enjeu majeur pour le groupe de distribution. Une structure dédiée à la Chine pilote les opérations. Deux magasins ont été ouverts, un à Shanghai, l’autre à Pékin. Galeries Lafayette a recherché des partenaires locaux. Son premier choix s’est porté sur JD.com. Le niveau de marge était trop restreint du fait de frais marketing assez élevés. Le deuxième choix, WeChat, fut le bon. GL a ouvert une boutique on-line sur WeChat. Avec ses 900 millions d’utilisateurs, cette plateforme sociale est un des acteurs majeurs de la consommation en Chine. Trois objectifs ont été poursuivis à travers ce partenariat :
Une stratégie a donc été de privilégier les gros temps forts commerciaux d’où l’utilisation de boutiques permanentes sur WeChat. 30 marques partenaire physiquement présentes en magasin ont bénéficié de ce Ship From Store. Des stocks runners dédiés recevaient les commandes depuis WeChat et préparaient les commandes pour les clients. Des studios shooting ont été mis en place pour soigner les photos produit publiées sur WeChat. Cette expérience a permis de :
Renforcer l’omnicanalité (digital-physique) et trouver des solutions pour les produits en rupture de stock en magasin
Renforcer l’omnicanalité France – Chine. La clientèle chinoise en France représente 1/3 du CA de GL Haussmann. Des Live Shopping depuis Haussmann à destination des chinois ont été organisés. Des Personal Shoppers présentaient les produits en Live. Les clients WeChat pouvaient poser des questions et décider d’acheter.
D’une façon générale, WeChat a donné aux Galeries Lafayette plus de visibilité et d’exposition. Il a aussi permis de distinguer des bassins de population intéressées par les Galeries. Ces zones pourraient servir de futures zones d’implantation.
JD.com, la plus grosse boîte inconnue du monde
La parole a ensuite été donnée à Monsieur Florent Courau, consultant, expert Chine et anciennement DG de JD.com France qu’il qualifie de géant inconnu. Pour lui, l’e-commerce chinois a bénéficié de la soif de consommation de sa population, une envie de rattrapage. L’e-commerce peut s’appuyer sur un pays bien formé. Le lettrisme est de 93%. Les chinois sont rentrés dans la modernité en pratiquant le saut de la grenouille à savoir sauter une révolution technologique pour en vivre une autre bien plus avancée : pas de téléphone filaire mais un mobile pour tous. Les villes moyennes (T3,T4) sont des poches de croissance importantes. L’hypercroissance s’accompagne, néanmoins, d’hypercompétitivité.
JD.com est la troisième société Internet mondiale derrière Alphabet (Google) et Amazon. C’est un retailer global alors qu’Alibaba est une simple place de marché. JD a commencé avec l’électronique haut de gamme avec des paniers moyens élevés sur une cible urbaine, masculine recherchant la qualité.
L’originalité de JD.com est qu’il représente un nouveau modèle économique, celui de retail as a service (analogie avec SAS, software as a service). Ces technologies sont mises à disposition d’autres retailers.
C’est un créateur hybride qui excelle dans la micrologistique urbaine avec une recette simple : multiplier les entrepôts, analyser les données et multiplier les livreurs.
JD. Com c’est 730 entrepôts sur 12 millions de m2. C’est aussi un formidable acteur de la logistique prédictive qui permet de livrer un i-phone en moins de 12 minutes. C’est aussi l’entreprise des tricycles rouges à savoir 200.000 employés, des livreurs du dernier kilomètre qui peuvent vous apporter un café pour moins de 2 dollars.
La reconnaissance faciale est utilisée pour donner à la relation-client un potentiel inégalé de personnalisation. Quant aux moyens de paiement, la cartographie de vos vaisseaux sanguins permet de vous identifier.
JD.com est capable de relancer des magasins moribonds et des quartiers endormis. Sa stratégie est de faire d’un grand magasin un entrepôt de picking et une surface commerciale ce qui permet de tripler la rentabilité au m2. En analysant les data locales, il est possible de définir les best-sellers du quartier et de concevoir des vitrines qui répondent précisément aux besoins.
Localisme et gigantisme sont les deux piliers de ce monde inquiétant qui se dessine devant nous.
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