X-Files est une référence pour les conspirationnistes de tout poil ou, tout simplement, ceux qui ont envie de croire à autre chose. Cette autre chose serait l’existence des extra-terrestres, existence que l’on chercherait à nous cacher.
Fox Mulder, agent du FBI, affecté aux affaires non classées, consacre sa vie à prouver qu’il existe un gigantesque complot destiné à masquer la vérité à l’espèce humaine. Il louvoie entre de vrais méchants comme l’homme à la cigarette, des créatures paranormales et l’agent Dana Scully, son roc émotionnel et cartésien.
Mulder poursuit d’enquête en enquête un long cheminement vers une révélation qui tarde. Sommes-nous seuls dans l’univers ? Les extraterrestres sont-ils des créatures hostiles ou manipulées par nos gouvernants ? Des expériences ont-elles été tentées pour hybrider l’ADN humain et extraterrestre ? Où est sa sœur enlevée il y a plusieurs années ?
Mulder a un principe, ne faire confiance à personne.
Trust no1
Trust no1 est le 6eme épisode de la saison 9. Dans cet épisode, Scully est instrumentalisée par un homme mystérieux qui cherche à contacter Mulder pour lui livrer des informations sur les supersoldats. La thématique de l’épisode tourne autour de la surveillance et de la confiance. La devise de Mulder « ne faire confiance à personne » est une sorte de fil rouge pour X-files. Il faut se méfier de tout et de tous, de la médecine, du gouvernement, de l’armée, de ses voisins, et même, de soi-même. Cette défiance perpétuelle touche la représentation de la réalité, la vérité (multiple forcément), l’amour avec Scully (inachevé), son statut de père (improbable), son identité (qui suis-je au bout du compte ?).
Mulder est un parfait représentant de notre époque postmoderne où l’extrême relativité nous amène à douter sans cesse.
Cette société du doute touche la science, notre foi en l’avenir, nos relations interpersonnelles…
Or, le doute sape la confiance. Ne pas faire confiance et douter vont de pair.
Qu’est-ce-que la « data anxiety » …
Mulder est comme beaucoup de nos contemporains. La confiance dans ce que l’on ne connaît pas ou que l’on comprend mal est difficile. La récente affaire Facebook / Cambridge Analytica met en lumière l’anxiété croissante qui nous saisit concernant l’utilisation de nos données personnelles. Des chercheurs espagnols et australiens, Sarah Pink, Debora Lanzeni et Heather Horst ont tenté de définir la data anxiety et observé comment nous essayons de nous protéger face à ce gigantesque Big Brother que devient le Web.
L’article s’intitule “Data anxieties: Finding trust in everyday digital mess” publié dans Big Data&Society en 2018.
Il définit d’abord le phénomène de datafication de nos vies : la capacité de transformer en données la totalité des aspects de nos vies qui n’avaient pas été quantifiés auparavant.
L’anxiété concernant nos données est une anxiété du quotidien car nous ne sommes pas tous des activistes politiques ou Edward Snowden. Nous aurions peur que nos traces numériques donnent une fausse image de nous, une mauvaise représentation de notre quotidien. Nous nous savons surveillés et voulons apparaître sous notre meilleur jour à nos surveillants.
Quant à la gestion de nos données, elle repose sur des routines qui n’ont parfois ni queue ni tête mais la routine, la répétition sont des moyens de diminuer l’anxiété.
En voici quelques-unes :
La duplication
J’ai peur de perdre mes données. Je les duplique sur des tas de supports dans lesquels j’ai une confiance très modérée. En fait, la confiance ne réside pas dans le disque dur utilisé ou le Dropbox sur lequel on va tout sauvegarder mais sur la routine elle-même.
La transparence et la plateformisation
Pour ne pas perdre mes données, pourquoi ne pas les partager ? Pourquoi ne pas partager le fardeau de leur conservation à plusieurs ? Fablab, plateformes collaboratives, travail communautaire mais aussi block chain ou bit coins participent de ce besoin d’être plusieurs pour constituer et gérer de la donnée.
La conscience de la temporalité des données
Les données n’existent que grâce à leur matérialisation sur différents supports. Elles se modifient sans cesse et leur avenir est incertain. Elles ne sont pas éternelles car elles dépendent de la pérennité de leur sauvegarde. Elles pourront disparaître à l’avenir. Elles sont fragiles et facilement détruites.
Et comment Mulder y répond…
Mulder ne souffre d’aucune « data anxiety ». Voici pourquoi :
Il est passé à côté du Web 2.0, 3.0 et 4.0. Il vit avec une vieille télé. Chez Mulder, il y a un ordinateur qu’il utilise sans avoir peur de rien. Il n’en a rien à faire de ce que ses surveillants vont penser de lui.
Mulder est un homme de terrain. Il est ce qu’il reproche à Scully, un sceptique qui a besoin de voir pour croire. Mulder n’est pas touché par les Fake News.
Mulder est bordélique. Les affaires non classées portent bien leur nom. Il ne duplique rien, il enregistre tout grâce à une mémoire exceptionnelle.
La transparence et la plateformisation lui sont inconnues. Il travaille dans l’ombre. Quant à la fragilité des données, elle tient, essentiellement, à la totale subjectivité des souvenirs : faux souvenirs, souvenirs implantés, souvenirs effacés, souvenirs fabriqués. Ses données-souvenirs ne sont pas fragiles, elles sont orientées et non objectives. Toujours, cette fameuse post-modernité…
Mulder a juste sauté une révolution technologique, il est bien plus avancé que nous…
Ce qui intéressent Mulder et Scully sont les données ADN, les données du vivant dont celles liées à la mémoire. C’est également ce qui intéresse Google.
Dans Blade Runner 2049 où le Black-Out consécutif à un effondrement écologique et une catastrophe nucléaire fait que la majorité des données a été détruite, la mémoire humaine devient alors une donnée digitale. Elle seule a survécu.
L’anxiété digitale doit être reconsidérée. La donnée est une partie de nous-même. Nous ne voulons la protéger que si elle ne nous fait pas honneur. La donnée est fragile. Sa disparition signe notre propre fin. La donnée ADN est une façon de conjurer la mort mais aussi de changer l’homme. La donnée ADN et la donnée mémorielle sont les deux plus importants types de données. C’est sur elles que doit porter notre anxiété digitale.
Dans un des derniers épisodes de la série, Mulder et Scully se retrouvent face à un extraterrestre habillé en mage devant une vieille soucoupe volante tout droit sortie d’un comics des années 50. Le mage lui confie un livre à la tranche dorée style livre de contes de fées. « Il y a toutes les réponses à tes questions dans ce livre, il suffit de lire », lui dit-il.
Les livres, le réservoir de toutes les mémoires, langues, histoires… Pourraient-ils être les derniers sauveurs de nos données lorsque le Black-Out fondra sur nous ? Et si nous écrivions les livres de nos vies ?
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