Ready Player One est décrit par la presse comme un des plus talentueux Spielberg, bourré de références cinématographiques et de clins d’œil aux grands moments de la pop-culture. Pour moi, il va bien au-delà de la vision nostalgique d’un réalisateur génial sur le cinéma et sur les belles années 80-90.

Ready Player One décrit un monde post-apocalyptique où la nature est détruite et les hommes en situation de survie. Les villes sont grises et complètement délabrées. Beaucoup vivent dans la rue sous des tentes de fortune. Ceux qui ont un logement même pourri sont des privilégiés. Personne ne se révolte. On ne sait pas s’il y a réellement beaucoup de violence. En fait, la violence, la vie, la révolte sont ailleurs…

Les gens vivent dans Oasis ou plutôt leur avatar. Oasis est un système mondial de réalité virtuelle (VR), accessible par l’intermédiaire de visiocasques et de dispositifs haptiques (gants, combinaisons). Oasis est un MMORPG (jeu de rôle en ligne massif multi-joueurs). En fait, il est bien plus que ça, une drogue qui fait voyager dans des paradis artificiels, un VR Drug Trip.  Son créateur, James Halliday, était l’un des hommes les plus brillants de ce monde, l’un des plus secrets aussi.  À sa mort, une vidéo est diffusée dans laquelle il explique qu’il léguera son immense fortune, 500 milliards de dollars,  à la personne qui réussira à trouver l’easter egg (œuf de Pâques) caché dans l’OASIS. Le téléspectateur  suit donc les aventures de Wade Watts, un jeune orphelin de 18 ans qui consacre son existence à résoudre les énigmes et récupérer les clés menant à easter egg. Il devra faire face à la multinationale Innovative Online Industries (IOI) et son PDG, Nolan Sorrento, prêt à tout pour prendre le contrôle du monde virtuel. Nolan Sorrento a des moyens considérables, une armée d’esclaves qui jouent des heures entières, une équipe de brillants adolescents qui réfléchissent aux énigmes et à leur solution en étalant leur culture, une pop-culture dont les références vont de la machine à remonter le temps de Robert Zemeckis (Back to the Future) en passant par Stars Wars et une bande son très disco (Stayin’ Alive, Travolta).

J’ai personnellement beaucoup aimé le film. Bien sûr, j’ai adoré le passage Shining qui m’a replongée avec délices dans les délires de Jack Nicholson mais j’y ai vu bien autre chose…

VR DRUG TRIP ou la réalité virtuelle devenue drogue dure

Visiocasque, combinaison, gants, l’illusion de la réalité devient parfaite. Oasis est un monde merveilleux où se croisent les communautés, les mondes, les avatars aux superpouvoirs, le sexe, l’amour et la poursuite sans fin de monnaies virtuelles permettant de valider la progression d’un joueur. L’achat d’impulsion fonctionne à fond. On achète en rubis, cristaux et pièces d’or des équipements pour être plus fort, plus beau et, surtout, rester dans la course, celle de l’easter egg.

 

Lorsque l’on revient dans le monde réel, les gens se sont endettés pour continuer à jouer. Beaucoup n’ont plus de maisons. Les rues sont défoncées, les magasins fermés, les immeubles délabrés. Les voitures restent à quai, défoncées, immobiles. Tout est gris. Même les couleurs ont élu domicile chez Oasis. Le monde réel n’est utile que pour se nourrir et dormir.

Oasis n’est qu’une représentation exagérée de ce que nous vivons déjà sous la pression de nouvelles technologies addictives.

La littérature sur le sujet est impressionnante et les effets négatifs de la drogue numérique inquiétants puisque l’on parle de :

  • Baisse du QI
  • Baisse de l’attention
  • Perte de confiance en soi
  • Réduction de la productivité
  • Effondrement de la créativité
  • Accroissement de comportements asociaux (dépression, enfermement, schizophrénie…)

Je ne citerai qu’un chiffre, celui d’un article lu en 2011 et qui s’étonnait de la baisse importante de la criminalité aux USA (-5%). Une phrase avait attiré mon attention :  D’autres enfin mettent en cause ces éternels épouvantails que sont les jeux vidéo et Internet, arguant qu’ils permettent de maintenir les individus à l’intérieur de leur foyer et donc de les tenir éloignés du crime et des drogues.

Source : https://www.courrierinternational.com/article/2011/06/23/mais-pourquoi-la-criminalite-baisse

En 2018, les articles attestant de la baisse de la criminalité aux USA sont légions. Les drogués numériques ne commettent des crimes que pour se payer leur dose. Si leur dose est relativement accessible financièrement, ils n’ont plus aucune raison de sortir, consommer, vivre…Ils sont en dehors du monde et de ses tentations.

Le nouveau capitalisme numérique : demain le communisme

S’il n’y a plus de consommation que numérique, comment le capitalisme pourrait-il fonctionner ? La fin du capitalisme a été souvent prédite. Jérémy Rifkin est peut être celui qui a le plus pensé la disparition du capitalisme par la technologie.  Dans son ouvrage « the Zero Marginal Cost Society », il montre que l’ère marchande bascule dans la gratuité du fait des progrès technologiques qui permettront des gains de productivité illimités.

Le film propose une toute autre vision de la société de demain.

L’émergence de géants du Net pourrait prendre la forme d’un capitalisme surpuissant très oligopolistique ou monopolistique et régulant l’alimentation, l’éducation, la sécurité, la santé, l’énergie, la mobilité à un niveau extrêmement bas de confort…Si les humains vivent intensément dans la dimension digitale, l’ensemble de ces besoins devrait se réduire au minimum.

Un capitalisme monopolistique voire communiste pourrait alors voir le jour. La sophistication de l’offre, la connaissance du consommateur en un mot le marketing n’aurait droit de citer que dans Oasis. Innovative Online Industries (IOI) et son PDG, Nolan Sorrento seraient maîtres d’un monde à deux dimensions, la dimension digitale où tout se passe et ,notamment, la consommation d’objets virtuels et la dimension réelle où plus rien ne se passe. IOI est peut-être le descendant d’Amazon, de Google ou d’une alliance des GAFAM pour dominer totalement le monde mais le monde virtuel, le monde réel n’ayant plus aucun intérêt marchand. Dans ce monde, il n’est pas question de cross-canalité. Tout est réalité virtuelle et seuls les besoins primaires sont assouvis dans le monde réel (dormir mal et manger presque rien).

Les individus ne travaillent que pour retourner dans Oasis. Les plus endettés sont soumis en esclavage et doivent « jouer sans fin » pour rembourser. Comme le souligne, William Audureau du Monde « Cette réalité n’a rien de fictionnelle : elle a déjà été documentée par une enquête du Guardian en 2011, sur des prisonniers chinois obligés à jouer pour créer des richesses virtuelles dans World of Warcraft (des gold farmers, dans le jargon), richesses ensuite revendues contre de l’argent réel. Comme dans le film, ils portent souvent des suites de chiffres ou de symboles en guise de pseudonyme. »

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/pixels/article/2018/03/29/ready-player-one-un-film-sur-le-jeu-video-plus-proche-de-la-realite-que-de-la-science-fiction_5278089_4408996.html#Rcd6T7A2eIlJw2GD.99

 Internet menacé, neutralité du Net ou la trahison des fondateurs

IOI ne se contente pas de soumettre en esclavage les plus endettés. L’entreprise est entièrement vouée à la recherche d’Easter Egg. Elle veut en effet prendre le contrôle du jeu. Cette bataille entre des utilisateurs qui s’approprient l’espace numérique et veulent le gérer de façon communautaire et les appétits d’un géant privé n’est pas sans rappeler la bataille autour de la neutralité du Net.

James Halliday est peut-être Vint Cerf (père fondateur de l’Internet). ICANN, IETF et ISOC, les sages organismes qui gèrent le Net pourraient un jour être remplacés par IOI.

La fin de la neutralité du Net préfigure l’ultra-marchandisation d’un espace au sein duquel, chacun avait les mêmes droits en termes de visibilité et d’accès.

Un autre rapport au temps et à la mort : mémoire et nostalgie

Enfin, Ready Player définit un autre rapport au temps et à la mort. Wade ne découvre les indices menant à Easter Egg qu’en visionnant inlassablement la vie de James Halliday. Elle est entièrement consignée sous la forme d’archives virtuelles. Ce qui n’est pas retransmis a été caché pour des raisons qui touchent à l’extrême intimité (un chagrin d’amour par exemple). Pour le reste, tout est répertorié à la seconde près, une vie faite de traces numériques si riches que la vie privée n’existe plus.

 

James Halliday n’est donc pas réellement mort.  Il n’est pas un avatar errant dans Oasis, ni un humain disparu. L’espace dédié à sa mémoire devient son lieu de vie, une autre dimension qui lui permet d’exister encore. En un mot, James Halliday vit dans une dimension espace-temps ancrée dans le passé mais lui permettant d’agir sur le présent et l’avenir. C’est une vision toute post-moderniste de la non-linéarité du temps.

Cette « non-linéarité », ce temps circulaire, cette absence de début et de fin sont symbolisés dans la course qui rassemble des centaines d’avatars d’Oasis, course dont la récompense est la première clé donnant accès à Easter Egg.

La course est à prendre en sens inverse. Pour avancer, il faut reculer. Pour gagner, il faut faire marche arrière. Et, si nous appliquions cette recette à notre monde pour lui éviter de disparaître…